Extase
Ils ont appelé mon nom. Je me lève. Mon cœur palpite. Mes pas me conduisent à l’avant, près de ce mastodonte noir et luisant qui produit des sons exquis. Je ne sais toujours pas ce que j’interpréterai. Devant tous les yeux posés sur moi, je m’engage dans un monologue nerveux. Je dois choisir, non, c’est à eux de me le dire : en français ou en allemand? Je m’incline devant la majorité, ce sera Saint Saëns. Je donne à mon partenaire éphémère la partition couverte de lignes et de points. Ses dix doigts plaquent les accords sur le clavier dans un rythme passionné et entrainant… J’écoute, je deviens la protagoniste. J’attends la fin des six quadruples, puis j’ouvre ma bouche.
Mon corps s’enracine sur la scène. Mon esprit s’envole. Les vibrations du piano se mêlent à mon souffle. Je vais raconter l’histoire d’une femme qui adore un homme et, dans l’espace de quelques barres, j’entre dans la vie de cette amante. Je décris ses sentiments et les spectateurs boivent toutes mes paroles. Je les tiens au bout de mes lèvres.
Je commence la deuxième partie du récit et l’incertitude s’insinue dans mes pensées. Me regardent-ils ainsi parce qu’ils sont subjugués par ma performance ou parce qu’ils sont choqués par sa médiocrité? Le doute tente d’aspirer mon esprit dans une spirale sombre, mais je rejette l’anxiété qui me tenaille. Tous attendent le point culminant. Les émotions s’enchevêtrent aux sons qui montent vers les cieux en une douceur poignante. Les vibrations s’estompent. Mon poing reste levé. Tous retiennent leur souffle ; moi aussi. Personne ne bouge. Ils attendent que je les libère. Mon bras et mes yeux baissent. Les applaudissements remplissent la salle.
Je m’incline, tends ma main vers mon pianiste du moment. Je récupère mon livre de musique. Mon cœur palpite. Mes jambes de guenille me conduisent vers mon siège. Le doute revient à la charge, mais l’extase le repousse au fond de mon esprit.
Le doute, l’incertitude et ce que nous appelons le syndrome de l’imposteur nous affectent tous. Les ombres de l’esprits ne sont pas toujours sanglantes, mais toujours terrifiantes.
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Ecstasy
They called my name. I stand. My heart is pounding. My steps take me to the front, near this black and shiny goliath that produces exquisite sounds. I still don't know what I'll interpret. All the eyes on me trigger a nervous monologue. I must choose, no, it's up to them to tell me: French or German. I yield to the majority. Saint Saëns it will be. I give my fleeting partner the score densely covered with lines and dots. His ten fingers strike the chords in a passionate and enticing rhythm... I listen, I become the protagonist. I wait for the end of the six quadruples, and then I open my mouth.
My body takes root on the stage. My mind flies away. The vibrations of the piano mingle with my breath. I will tell the story of a woman who adores a man and, in the space of a few bars, I enter the life of this lover. I express her feelings and the spectators drink all my words. I hold them on the tip of my lips.
However, as I begin the second part of the story, uncertainty creeps into my thoughts. Do they stare because they are captivated by my performance or are they shocked by its mediocrity? Doubt tries to suck my mind into a dark spiral, but I reject the anxiety that grips me. They’re all awaiting the climax. Emotions are entangled with sounds that rise to the heavens in a poignant softness. The vibrations fade. My fist lingers in mid-air. They’re holding their breath; me too. Nobody moves. They’re waiting for me to let them go. My arm drops, I look down. A torrent of applause erupts in the room.
I bow, then direct the attention to my pianist of the moment. I take back my music book. My heart is pounding. My wobbly legs take me to my seat. Doubt returns, but ecstasy pushes it back into the shadows of my mind.
Doubt, uncertainty and what we call imposter syndrome affect us all. The shadows of the spirits are not always bloody, but always terrifying.
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